« Faire le mur » - présentation de l’artiste en interview
Pascal Ruetsch se prête volontiers au jeu de l’interview par curiosité pour l’exercice et pour l’interaction qu’elle engage.
Cette attitude pourrait être pensée comme similaire à ce que donne à voir son travail qui mêle ouverture imaginative – des représentations urbaines initiées puis ensuite presque mues par leur propre logique - , réflexivité critique (tout qui questionne et qu’il recycle) et place faite pour l’autre au point de ne représenter quiconque dans ses dessins afin que celui qui les regarde puisse y faire toute sa place.
Pourquoi les villes ?
Je ne sais pas. J’ai toujours dessiné des villes, depuis que je suis enfant. Dessiner une ville ça demande d’équilibrer différentes choses : les monuments, les parties répétitives d’habitation, les lieux du commerce, les voies de transport. Le dessin des villes exige du réalisme dans la façon dont on les pense ; ce sont des espaces logiques autant que peuvent l’être des constructions humaines. Logiques, pas forcément rationnelles. Elles demandent de prendre en compte des schémas historiques. Leurs imperfections sont à intégrer. Je réinvente leurs imperfections, leurs ratés architecturaux. Je ne les transforme pas forcément car cela permet des effets de contraste.
Comment ça démarre un dessin de ville ?
J’ai toujours une thématique de départ. C’est souvent une thématique abstraite comme par exemple la verticalité, l’architecture classique, les parallèles. Je donne une injonction de départ à mon dessin mais qui peut-être ne va pas être suivie ensuite.
Ce que je prends aussi immédiatement en compte c’est que les villes en France ont historiquement une logique de coeur puis de couches successives en strates. Je pars de là et chaque strate sera porteuse des caractéristiques de certaines époques, données par l’histoire urbaine.
Mes villes ne sont pas tant imaginaires que probables. Les théâtre, banque, poste, gare... que je dessine sont situés à des endroits probables. Cette thématique de départ et cette contrainte urbanistique donnent un rythme au dessin et une identité à la ville.
Cela dit, les villes ne sont pas pour autant intactes comme des utopies urbaines historiques. J’y intègre leurs accidents.
Et techniquement ?
Je pose dans les premiers croquis des axes qui peuvent se résumer à 3 traits. Puis je fais un premier dessin au crayon. J’en détruis parfois des parties. Je crayonne le dessin des rues, je délimite les pâtés de maisons, les lieux pour les monuments puis je les monte en élévation. Et puis je rajoute des feuilles pour agrandir les villes au fur et à mesure de leur croissance.
J’utilise l’encre de Chine afin que mes dessins tiennent dans le temps. Le feutre, ça disparaît et mes villes disparaissent aussi. Il m'arrive de dessiner pour offrir mes villes – parfois je les personnalise pour un destinataire – cela me permet de les redécouvrir quand je vais chez ces personnes. Je les oublie et puis je les redécouvre ainsi.
On ne peut pas corriger une fois qu’elles sont à l’encre. Le crayonné du départ est par conséquent important. Je gomme, regomme, jusqu’à trouver. Suit le trait à l’encre, rigoureusement. Je ne fais aucune ombre.
Je les dessine simultanément en vue aérienne et en vue rasante, un peu comme les représentations des villes au 18e siècle. Des représentations avec des perspectives et plus ou moins la même échelle.
Peux-tu donner un exemple de thématique de départ ?
Un jour je voulais faire une « ville espagnole ». A la fois je ne voulais pas que ce soit très réaliste. C’est-à-dire que je me suis plutôt appliqué à dessiner ce que j’imagine être une ville espagnole.
Une ville espagnole pour moi il y faisait chaud, c’était aride, il y avait des balcons. Il fallait une place pour les taureaux. Ca pouvait être une ville ronde. Il fallait aussi un aqueduc afin de distribuer l’eau dans les fontaines et les jardins. Autour des jardins il y avait de grands murs. C’était ça mon idée de la ville espagnole : austère et secrète.
Ma prochaine thématique c’est de prendre un plan de ville existant et de construire une nouvelle ville par dessus ce plan. J’ai pris le plan de Nantes. Ca ne peut marcher que sur des villes que je ne connais pas. A Nantes la Loire y passe et un bras de la Loire a été comblé et n’existe plus. Je peux le faire ressortir ; imaginer sur la trace, l’empreinte.
Une autre thématique de départ ça peut être des cercles. Je pose trois cercles : un rond-point, une place, un auditorium et ça devient le schéma qui dirige tout.
J’ai essayé d’autres modes de traitement mais cette technique là est celle qui me convient le plus.
Il y a toujours une rivière dans les villes imaginées
Oui, historiquement ça correspond à quelque chose, une ville construite sur une rivière mais ça permet dans mon dessin un dégagement. Et aussi l’insertion d’éléments architecturaux comme les ponts. Les gares aussi, relèvent du même principe. Dessiner une gare ça impose un trajet et un au-delà et un en-deçà des voies ferrées.
Qu’est-ce qu’il n’y a jamais dans tes villes ?
Des cheminées, des gens, des voitures. Mais il y a des mobiliers urbains, des parkings. Pas de bateaux mais des quais d’amarrage. Pas de trains mais des voies. Il y a des marchés, des cimetières, des stations-services.
« Etant donné un mur, que se passe-t-il derrière ? » disait Pérec. Est-ce que l’autre côté du mur est une chose qui t’intéresse ?
Je sais ce que je dessine même si la perspective peut cacher des éléments. Je sais ce qu’il y a dessous. Des théâtres, des postes, des musées, des hôpitaux, des collèges... Je sais ce qu’il y a dans les bâtiments, sous les arcades des cours. On ne les reconnaîtra pas forcément mais je sais que c’est ça. A la fois celui qui regarde peut placer les éléments qu’il veut où il veut.
Quand on marche on ne voit finalement pas beaucoup de choses. Le dessin me permet de passer par dessus les murs. Mais aussi de passer dessous. Dessiner des échangeurs, par exemple, des ponts.
Il y a une histoire dans ces dessins ?
Je ne sais pas si c’est une histoire mais il y a un fil. Mes questions quand je dessine ça va être : qu’est-ce que je vais pouvoir y faire ? Qu’est-ce que je vais pouvoir y trouver ? Et : Comment concevoir un urbanisme avec tout cela ?
Ces questions poussent le dessin et je rajoute des feuilles. Je ne recadre jamais même si je sors du cadre. Même si j’essaie de réfléchir globalement, je ne le fais pas toujours. Je poursuis les fils logiques du dessin des villes. Je pars du centre ville et je m’en éloigne. Une fois j’ai essayé de faire l’inverse. Je ne suis jamais arrivé à un centre.
Une autre fois j’ai fait une ville qui a beaucoup grossi. La gare est devenue trop petite donc j’ai fait une autre gare, plus grande. Je suis arrivé sur la périphérie. Ca devenait plus contemporain, il y avait beaucoup plus de circulation, des grandes voies – des lignes courbes, plus abstraites en termes visuels et graphiques. Le centre ville était dense et ensuite tout s’aère.
Finalement ce n’est pas tant narratif qu’abstrait. J’accentue certaines lignes pour aboutir à une abstraction, même si au milieu c’est une ville. Dessous il y a des signes dont seul moi connais l’existence.
Certaines de ces villes sont en effet très denses et sont de grandes villes. Comme tu les travailles en plus en détail, combien de temps te prend un dessin ?
Quand je commence à dessiner, pour moi il faut que ça aille vite. Je m’y concentre absolument, j’annule des déjeuners, des dîners, elles occupent tout l’espace. Je deviens impatient car quand je sais que telle chose doit être à un certain endroit dans cette ville, j’ai hâte d’y arriver par le dessin même si ça exige des linaires de maisons alors même que je ne dessine jamais le même pâté de maisons. A chaque fois je me demande : comment je vais détailler une architecture ? Est-ce que ça va être dense ou non ? Cela dépendra souvent du fait d’être au centre ville ou non. En périphérie ce sera moins dense donc plus rapide à dessiner. Cela peut me prendre jusqu’à un an de travail une grande ville, mais c’est un temps record.
Dès le départ je ne vais pas connaître le format donc je ne connais pas le temps que je vais y passer.
En fait je pourrais continuer toutes ces villes que je dessine même si je ne l’ai jamais fait.
Documentes-tu tes dessins pour les travailler ?
Pas au sens d’une documentation qui serait propre à chacun des dessins. Ce que je fais c’est lire des revues d’architecture, des livres sur les ponts, les monuments... regarder des ouvrages de photos sur les villes. Mais surtout ce qui va nourrir mes travaux ce sont mes pérégrinations dans les villes, celles familières comme inconnues.
En revanche, parfois quand je rencontre un problème particulier il m’est nécessaire de me documenter. Ca a été le cas par exemple avec une église au dessus de la ville comme à Marseille ou encore à Lyon. Dans ce cas, je vais regarder les livres, aller dans les villes pour m’en inspirer sans forcément copier.
As-tu des villes fétiches ?
Toulouse, Paris. Mais aussi des lieux d’inspiration que sont des « bouts de villes ». Par exemple quand je suis allé à Marmande, il y a là-bas un bout de ville qui a été cassé. C’était une place fermée avec une halle des années 50, comme si on avait pausé dessus un couvercle métallique. C’est très étonnant qu’ils aient fermé la place avec cette structure là. Par la suite ils l’ont détruite pour réouvrir la place mais moi je m’en suis inspiré pour fermer certaines places de mes villes tout en sachant que dessous il y a des maisons très jolies.
Tes villes sont-elles des villes idéales ?
Non ce ne sont pas des villes idéales. S’il y a un truc vilain au milieu, il reste. Et il va d’autant mieux révéler ce qui est joli à côté ou derrière. Faire co-exister le beau et le laid, le plan urbain et des toutes petites rues anciennes, demande de trouver des solutions pour que ça puisse s’articuler.
Et puis le laid et le beau c'est toujourstrès relatif, surtout reporté sur une échelle temps.
Comment ça se finit un dessin de ville ?
Quelque part, quand je décide que je les arrête. Elles sont finies.
Pascal Ruetsch est né en 1968 à Boulaur dans le Gers, village de 120 personnes dont une trentaine de nonnes (dixit). Il dessine des villes depuis l’enfance et a exposé à Toulouse, Barcelone, San Francisco
Il exerce en parallèle à son activité artistique des responsabilités de création en design Web, autres territoires, virtuels et institutionnels cette fois-ci.
Entretien réalisé en juillet 2007 par Emmanuelle Savignac.